AUCUNE NUIT NE SERA NOIRE

Papa, Maman, Papis, Mamies, pris en leur ensemble, représentent le parfait cocktail propre à l’épanouissement des enfants.
Chacun des adultes apportant, à la dernière génération, ce qu’il estime être de son ressort.
D’une façon générale, vu sous l’angle des « jeunes pousses », les parents incarnent l’autorité, les grands-parents, la gentillesse. Et pour cause chacun est dans son rôle successif.
Les circonstances de la vie font que la présence des grands-parents est plus ou moins permanente.
Ainsi, et c’est encore le cas dans certains pays, il y est d’usage qu’au sein d’un même foyer familial, trois générations cohabitent.
Si, généralement, la relation grands-parents-petits-enfants est ponctuelle, il se peut qu’un « accident de la vie » amène Papis et Mamies à devoir pallier l’absence des géniteurs.
Ainsi, pour ce qui a trait à Victor Hugo, c’est consécutivement aux décès de son fils Charles qu’il prit en charge l’éducation de ces petits-enfants, Georges et Jeanne. C’est d’ailleurs en goûtant, appréciant, tout le bonheur suscité qu’il écrivit, au crépuscule de sa vie, plusieurs poèmes regroupés en un ouvrage intitulé : « l’art d’être grand-père »,
Pour des raisons certes différentes, mais d’une même veine, Fatou Diome vient d’écrire, avec la sensibilité qu’on lui connaît, un magnifique livre où elle rend hommage à son grand-père.
Mâma Kôrmâma – son Gabriel – dont elle estime que l’éducation, qu’il lui a prodigué, a guidé ses pas tant durant son enfance à Niodor, à ses côtés, qu’ensuite, loin de lui, au Sénégal puis en France. Influence, dont elle reconnaît la permanence, même après que, celle qu’elle appelle la « Rôdeuse des ombres » la lui a enlevée à tout jamais.
Et d’écrire :
« À défaut de pouvoir chasser la Rôdeuse des ombres à coup de balai, je me promis de consigner, le sourire de Saliou et d’Aminata (ses grands-parents) pour toujours ».
Se faisant, par sa démarche, elle permet au passé de prendre pied dans la perpétuité, et qu’ainsi le vécu de son grand-père chéri, ce qu’il a été, ce qu’il a fait pour elle, soit à tout jamais connu, ne passe pas, avec le temps, aux oubliettes.
Si Cicéron écrit, que :
« La vie des morts consiste à survivre dans l’esprit des vivants »
Pour ce qui concerne Fatou Diome c’est plutôt, sa vie à elle qui consiste à survivre dans l’immortalité de son veilleur.
Pour notre auteur, c’est bien son « capitaine » qui la garde debout, propulse sa barque, éclaire son cap et d’écrire à propos de sa démarche littéraire :
« Le livre, garde en vie ceux qui s’y trouvent et se moque de l’horloge. C’est la seule forteresse qui résiste indéfiniment à la « Rôdeuse des ombres ».
Écrivons ! ».
Certes, son ouvrage est empreint de la nostalgie d’une enfance passée auprès de grands parents affectueux, plein d’attentions et de protections envers elle, mais notre auteure n’en a pas oublié pour autant ce qu’elle a enduré, la pugnacité dont elle a dû faire preuve, la nécessité de se battre à répétition, pour éviter l’issue d’une impasse à laquelle sa naissance la vouait.
Cette détermination, cette volonté, elle l’attribue aux conseils avisés de celui dont elle écrit :
« Par soif de lumière, Mâma Kôrmâma m’a appris très tôt à parler, afin que je sois cracheuse de feu partout où l’obscurantisme et l’ethnocentrisme aveuglent le monde de leur épaisse fumée ».
Or, Fatou Diome a, non seulement appris à parler, mais également, à écrire, et même très bien écrire ! Aussi, ne s’en prive-elle pas pour critiquer le nouveau conservatisme religieux.… « Qui a écrasé, le culte ancestral et la structure familiale d’antan, de la tradition matrilinéaire Sérère, laquelle honorait ses filles au point d’en faire des reines et reines-mères au Sine comme au Saloum. Notre invétérée combattante en profite pour confondre ceux qui « mirent les femmes sous tutelle et jetèrent leurs droits au rebut ».
C’est dans ce contexte humain qu’enfant délégitimisé du fait de sa naissance, elle estime ne devoir qu’à ses grands-parents la force de s’en être sortie dignement avec, néanmoins, pour légitime répercussion d’en vouloir à ceux qui en sont responsables car coupables d’avoir instrumentalisé la religion et « fait, des femmes dites filles-mères des repoussoirs de la société, et de leurs enfants des martyrs ».
Si notre auteure a vécu sa jeunesse au Sénégal, présentement elle se trouve avoir plus longtemps habité en France qu’ailleurs. Forte de cette situation, génératrice de double patrie, double adresse, double appartenance, double fidélité, cela a fait d’elle une « proche- lointaine » bien placée pour critiquer l’aveuglement des racistes d’un côté et l’emprise familiale, due aux traditions africaines, de l’autre. C’est, forte des conseils de son « Capitaine » qu’elle a tracé, en toute indépendance, le sillon de sa vie et estime, dès lors, que « Grâce à lui, aucune de mes nuits n’est noire » ; que :
« Sur l’océan de l’existence, c’est lui qui m’a appris à négocier les vagues ».
Cet ouvrage bien que venant de sortir en août, n’en fait pas moins, d’ores et déjà, l’objet de nombreuses critiques particulièrement favorables.
Il s’agit de :
AUCUNE
NUIT NE SERA NOIRE
Édité par Albin Michel
La rencontre, que nous propose Fatou Diome avec son grand-père, est non seulement pleine d’enseignements mais, également, d’une délicatesse, d’une sensibilité, à nulle autre pareille.
Je suis sans mot pour l’en féliciter, tout du moins n’en ai qu’un seul : « bravo » : votre ouvrage mérite Le Goncourt !