ANIMAL TOTEM

Le film «Animal Totem», est tout simplement exceptionnel. Pour ceux qui n’ont pas encore eu la chance de le voir, un conseil, réparez rapidement ce manque…Vous ne le regretterez pas !
Ce long métrage, que Benoît Delépine a réalisé en solo sans son complice habituel Gustave Kervern, n’en demeure pas moins d’une approche, d’une signature, qui rappelle leurs précédents films en duo et conserve leur goût du non-sens, des personnages hauts en couleur ainsi que des situations à la fois burlesques et satiriques.
Etant toutefois précisé que notre réalisateur y ajoute une touche plus personnelle, plus intime, sur la place de l’humain dans le vivant, où il révèle sa grande sensibilité envers la nature.
Sur le plan narratif, « Animal Totem » se présente comme un road-movie. Ainsi, le protagoniste, Darius, admirablement interprété par Samir Guesmi, démarre à l’aéroport de Beauvais pour rejoindre, à pied, le quartier Parisien de La Défense tout en traînant une mystérieuse valise à roulettes attachée à son poignet. Cette errance, à travers campagnes et banlieues sans empreinte carbone, installe un rythme lent, méditatif, presque contemplatif.
Le film use d’un format visuel ambitieux : un format panoramique qui sert particulièrement les scènes jouant sur le regard animal, cherchant à restituer une subjectivité non humaine. Occasion, pour le spectateur, de percevoir le monde, la nature, les paysages, la faune — d’un point de vue atypique.
Ce qui distingue « Animal Totem », mais qui ne surprend pas vraiment quand on connaît ne serait-ce qu’un peu le réalisateur, c’est l’approche écologique clairement affirmée, reflet, résultante, d’un état d’esprit hérité de son enfance, de son attachement à la nature. Sensibilité tout particulièrement renforcée par son constat des effets délétères des pesticides qu’il combat avec vigueur et dont il trouve là l’occasion, l’opportunité, de les porter à l’écran.
À travers le parcours de Darius, le film se veut une ode à la biodiversité, un appel à écouter le vivant, à reconnaître notre appartenance à un écosystème plus large.
Plus encore, « Animal Totem » développe un refus de considérer les animaux comme de simples “décors”. Le film donne à voir le monde et ses animaux : renard, cerf, pigeon, limace… autant de figures qui rappellent que l’humain n’est pas l’unique habitant de la Terre.
Le film, produit par SRAB Films, ne se contente pas d’une simple dénonciation écologique. En opposant, notamment dans sa dernière partie, la mise à mort, par Darius, d’un personnage cynique — un dirigeant passionné par la chasse et plus spécifiquement les espèces menacées — Delépine met en lumière les enjeux contemporains liés à la destruction de la nature, à l’exploitation animale, à l’industrialisation, et d’une façon générale au capitalisme envahissant.
Animal Totem fonctionne comme une fable, parfois drôle, souvent poétique, toujours engagée. À travers une galerie de personnages secondaires : chasseur, vigile, poète, jeune policier, entrepreneurs cyniques , le film tisse une satire sociale qui dépasse le simple constat écologique.
Chaque rencontre, chaque épisode compose un tableau grinçant de la société contemporaine, de ses contradictions, de ses absurdités.
Benoit Delépine — fidèle à lui-même — mêle critique sociale, conscience écologique et contemplation, pour proposer au spectateur non pas une solution toute faite, mais un regard, une sensibilité, une invitation à repenser notre rapport au vivant.
Animal Totem est plus qu’une comédie, c’est une fable écologique, une satire sociale. C’est un film qui, à travers le prisme de l’absurde et du burlesque, invite à regarder autrement le monde, la campagne, les animaux, la nature et incite à questionner notre place dans notre écosystème avec sensibilité, humour et conviction.
Le dénouement est d’autant plus jubilatoire qu’inattendu. Raison majeure pour vous en laisser la découverte.
Après une succession de rencontres grinçantes, vigiles obtus, cadres cyniques, chasseurs triomphants, Delépine orchestre une montée en tension qui se déploie comme une farce vengeresse, qui rappelle certains romans de Laurent Chalumeau.
On y retrouve ce ton si particulier fait d’ironie tranchante, de dialogues ciselés, d’un humour qui frôle l’insolence, et ce plaisir évident à voir un personnage solitaire prendre sa revanche sur les puissants, les arrogants, les destructeurs.
La scène finale fonctionne alors comme un geste libérateur, une fable morale inversée où l’humour tient lieu de justice.
Cette conclusion enthousiaste ne fait pas pour autant oublier la douceur et l’empathie qui imprègnent l’ensemble de ce film qui mérite, je le répète, un très grand succès….