Livre « Bourdieu »
Intéressé par tout ce qui a trait à l’Algérie, (et pour cause, je suis né à Alger), j’ai été tout récemment attiré par la couverture d’un nouveau livre qui était en évidence chez mon libraire habituel, et l’achetais, sans pour autant savoir qui était le
« BOURDIEU »
dont faisait état l’ouvrage, et sans plus d’ailleurs connaître les auteurs Pascal GENOT et
Olivier THOMAS.
Cette lecture fut un enchantement.
Outre un rappel intéressant sur l’histoire de l’Algérie, en sa période française, puis de l’indépendance à nos jours, j’ai découvert la vie d’un jeune béarnais, issu du monde agricole qui, après être passé par l’internat du Lycée de Pau, intègre celui de l’illustre classe préparatoire littéraire de l’Ecole Nationale Supérieure (l’ENS) du Lycée Louis le Grand à Paris, lequel eut notamment, comme élève, Jean-Paul SARTRE, Louis PASTEUR, Jean JAURES.
Etre normalien, avoir été reçu à l’agrégation de philosophie, c’est certes être hautement diplômé mais également, – personne ne l’ignore – bénéficier d’un « réseau d’entraide ». C’est aussi devoir s’affirmer politiquement. Toutefois, Pierre BOURDIEU, comme ses amis DERRIDA et BIANCO, refuse de « s’encarter » à un Parti et à tout endoctrinement, impliquant de se ranger en fonction d’oppositions toutes faites.
On pourrait alors penser que le jeune BOURDIEU fort de ses succès, le vive avec allégresse et, en profite pour s’orienter vers de belles perspectives de carrière.
En fait, le mal-être qu’il avait ressenti, alors qu’il était lycéen à Pau, où il avait subi le mépris de la bourgeoisie locale vu ses origines rurales, l’avait suivi à l’ENS.
Bien qu’ayant intégré de nouveaux codes de vie en collectivité et se soit détaché de ses origines sociales, contre toute attente, notre normalien, refuse la proposition de débuter une thèse de doctorat et, fuyant le microcosme de la rue d’Ulm, intègre en Auvergne, un lycée en qualité de professeur de philosophie.
Il n’y restera finalement qu’une seule année scolaire car son sursis d’incorporation à l’armée prenant fin en 1955, il est appelé sous les drapeaux, en Algérie, pour 24 mois.
Ce sont ces deux années d’expérience terrain, en sociologie, qui lui donneront l’envie de parfaire cette discipline, à la maîtriser, et à avoir une affection toute particulière pour l’Algérie. Son regard empathique, critique, attentif à toutes les formes de domination, firent de lui le sociologue le plus cité au monde.
Pascal GENOT est Docteur en sciences de l’information et de la communication – Chargé d’enseignement en sociologie.
Ayant co-écrit une BD qui se déroule entre Marseille et l’Algérie et fait une thèse sur les minorités culturelles au cinéma, il est convié à participer au « Festival du film Amazigh » en Kabylie et à y faire une conférence. Suivront plusieurs années de participation et de formation dans le cadre de la coopération culturelle Franco-Algérienne.
C’est à l’occasion de ces déplacements qu’est né son intérêt pour Pierre BOURDIEU et son souhait de faire, avec son ami et complice, Olivier THOMAS, Graphiste et Modéliste, le livre :
BOURDIEU
qui relate son cheminement intellectuel.
Mais revenons à Pierre BOURDIEU et sa venue en Algérie.
Il y débarque en simple « bidasse », ayant refusé d’intégrer la formation d’officier, laquelle lui aurait immanquablement permis de bénéficier d’un meilleur statut.
Ce en quoi, on peut s’interroger sur sa motivation à agir de la sorte :
– besoin de se fondre parmi les autres ?
(notre agrégé aspirant à cohabiter avec des jeunes de tous milieux dont son parcours scolaire l’avait éloigné ?).
– Ou était-ce là, la manifestation, la résultante, de ses opinions politiques ?
Cette noble approche, qui pourrait s’expliquer par son antimilitarisme, s’avère toutefois en opposition avec sa démarche qui consista à user d’un « piston » relationnel pour être rapidement retiré d’une unité combattante pour intégrer le « comité d’actions psychologique » des armées au Gouvernement Général à Alger et à collaborer à une démarche politique en totale opposition à ce qu’il réprouvera, ultérieurement.
Et pour cause, c’est là qu’il contribue, à la propagande du service d’information militaire…
Attitude qu’il se gardera d’évoquer ultérieurement tant elle s’avéra en opposition avec ses convictions affichées.
Fort de ses enquêtes in situ, il en conclu qu’existe chez les Algériens de confession musulmane, une « intériorité de la morale ».
Si un individu enfreint la règle, il ne ressent pas de la culpabilité, mais de la honte, il ne se sent pas coupable, il a peur d’être exclu du groupe.
En cela, il rejoint l’anthropologue-ethnologue américaine, Ruth BENEDICT, connue pour ses recherches sur la société et la culture japonaise qui eut, pour objectif de déterminer quels étaient les éléments culturels susceptibles de contribuer à l’agressivité supposée de ce peuple et d’en détecter les éventuelles faiblesses. Le tout intéressant l’autorité militaire confrontée au conflit américano-japonais comme, plus tard, les conclusions de Pierre BOURDIEU se révélèrent intéresser l’Armée Française lors de la guerre d’Algérie.
Ainsi, on découvre, une similitude entre ces deux peuples, à savoir que, pour les Japonais, comme pour les Algériens, on peut faire état d’une « civilisation de la honte », c’est-à-dire que l’individu fait son devoir par peur du « qu’en-dira-t-on » et non par intégration du devoir, comme c’est le cas pour la « civilisation de la culpabilité » qui applique l’intériorisation de la morale et où la peur du jugement divin se confond, dans l’inconscient, avec le jugement suprême.
Service militaire terminé, BOURDIEU revient à Paris. Son expérience algérienne ayant attiré l’attention du philosophe Raymond ARON, auteur de la « Tragédie Algérienne », ce dernier lui propose d’enseigner à la Sorbonne et d’organiser un « Nouveau centre de recherches en sciences sociales ».
Cette période sera, pour lui, l’occasion de modéliser ses réflexions et d’arrêter trois concepts centraux :
– le champ,
– le capital,
– l’habitus.
Pour lui, le champ est constitué de « microcosmes ». Chaque champ oeuvrant pour obtenir du « capital », lequel capital, pour Pierre BOURDIEU, n’est pas qu’économique, il découle notamment du milieu social familial, de son lieu de naissance ou d’habitation, de ses études.
Pour ce qui est de l’Habitus, il a trait à nos dispositions, à agir dans un sens plutôt qu’un autre, à notre façon de percevoir le monde et à l’interpréter. Lesquelles appétences sont étroitement liées à notre position sociale d’origine et à notre trajectoire ultérieure.
Cet ouvrage, qui a pour volonté de nous faire découvrir l’œuvre, le travail, les études, de Pierre BOURDIEU, est en format « bande dessinée » propre à conjuguer, ambition littéraire et artistique des co-auteurs.
Il nous fait apprécier la sociologie et, ce faisant, nous permet de mieux comprendre comment les sociétés fonctionnent et se transforment.
Fort de ces données, et de ce qui se passe présentement à travers le monde, on ne peut que faire le même constat qu’Isaac NEWTON qui estime que :
« Les Hommes construisent trop de murs et pas assez de ponts ».
A méditer…..
Le livre est édité par STEINKIS.