Essai « Laicité, j’écris ton nom » de Abnousse Shalmani
« Le premier devoir d’une République est de faire des républicains. »
Pour faire un républicain, il faut prendre l’être humain si petit et si humble qu’il soit (un enfant, un adolescent, l’homme le plus inculte, le travailleur le plus accablé par l’excès de travail) et lui donner l’idée qu’il peut penser par lui-même, qu’il ne doit ni foi ni obéissance à personne, que c’est à lui de chercher la vérité et non pas à la recevoir toute faite d’un maître, d’un directeur, d’un chef quel qu’il soit, temporel ou spirituel.
Est-ce qu’on apprend à penser comme on apprend à croire ?
Croire, c’est ce qu’il y a de plus facile ; et penser, ce qu’il y a de plus difficile au monde. Pour arriver à juger soi-même d’après la raison, il faut un long et minutieux apprentissage ; cela demande des années, cela suppose un exercice méthodique et prolongé.
C’est qu’il s’agit de rien moins que de faire un esprit libre. Et si vous voulez faire un esprit libre, qui est-ce qui doit s’en charger sinon un autre esprit libre ? Et comment celui-ci formera-t-il celui-là ? Il lui apprendra la liberté en la lui faisant pratiquer […].
Il n’y a pas d’éducation libérale là où l’on ne met pas l’intelligence en face d’affirmations diverses, d’opinions contraires, en présence du pour et du contre, en lui disant : Compare et choisis toi-même ! ».
Ces puissantes et belles phrases pourraient être d’actualité.
Pourtant elles sont de Ferdinand Buisson, philosophe pédagogue et homme politique français, Co-Prix Nobel de la Paix en 1927, avec Ludwig Quidde.
La foi n’est pas antinomique de la laïcité.
D’ailleurs « la bonne foi » n’est-elle pas une vertu essentiellement laïque, qui a, pour vocation, de remplacer la foi tout court?
De même, la laïcité s’avère être un point d’équilibre, une neutralité favorable, au rassemblement.
On ne saurait toutefois méconnaître que si autrefois, jusqu’au milieu du XXe siècle, la disparité au sein de la population française émanait quasi exclusivement des différentes contrées européennes, il n’en est plus de même aujourd’hui.
En effet, depuis la Seconde guerre mondiale, le brassage de la population est tout autre.
Alors que, durant les décennies précédentes, l’immigration émanait, pour l’essentiel, de pays géographiquement proches, tels l’Italie, l’Espagne, la Pologne, le Portugal, l’amélioration du niveau de vie de ces pays a fait que ce sont les populations du Maghreb et d’Afrique Subsaharienne qui les ont remplacés, et la France choisie, comme pays d’adoption.
Auquel cas, direz-vous, rien n’a changé !
Et pour cause, les personnes n’ont jamais eu plaisir à quitter leur lieu de naissance. Pas plus par le passé que présentement. Ce qui suscite la migration, découle, reste, est toujours, pour l’essentiel, due à la difficulté à vivre, voire pour certains à survivre, en leur pays d’origine.
La France s’est voulue une République laïque. Il importe qu’elle le reste.
Jacques Chirac, croit nécessaire de le rappeler lorsqu’il énonce :
« l’Etat républicain, c’est aussi la laïcité ».
Quant à Elisabeth Badinter, elle va jusqu’à affirmer que :
« la laïcité :c’est la seule solution pour qu’il puisse y avoir la paix entre des gens venant d’horizons différents ».
Cette situation a son importance dans une France qui, de plus en plus, est constituée « de personnes venant d’horizons différents ».
Or, comment faire pour que « disparité » puisse se conjuguer avec «unicité» ? Si ce n’est de faire en sorte de rassembler, toute la population sans exclusive, par le biais de l’unicité dans la citoyenneté.
Force est toutefois de constater que si ce besoin d’unicité se ressent très fortement actuellement, il importe de percevoir que cette quête d’unicité n’est pas récente et qu’elle a donné naissance à la laïcité, laquelle a pour origine, pour l’essentiel, la volonté d’émancipation de l’emprise de l’Eglise sur la population.
Ainsi, doit-on à la Révolution Française d’avoir édicté le principe fondamental de la séparation entre l’Etat et les institutions religieuses en sa « Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ».
C’est à Napoléon Bonaparte que l’on doit d’avoir régi les relations entre l’Etat Français et l’Eglise Catholique, puis à Jules Ferry d’avoir instauré un enseignement primaire laïc, détaché de toute influence religieuse.
Enfin, adoptée en 1905, La Loi de séparation des Eglises et de l’Etat a marqué l’aboutissement d’une laïcisation affirmée. Quant à la constitution de 1958, pour ce qui a trait à la laïcité, elle a fondé le pacte républicain et garanti l’uniformité nationale.
Malheureusement cet acquis, qui le fut pourtant de haute lutte, n’est plus perçu à sa juste valeur (à l’instar de ce que l’on possède de longue date et qui, de ce fait, nous apparaît immuable au point de ne plus en percevoir la réelle valeur) alors même que, comme le souligne Abnousse Shalmani :
« des hommes et des femmes, partout dans le monde, se battent pour nos valeurs… que nous ne voyons même plus, tant nous sommes vautrés dedans »
C’est là tout le risque consistant à présupposer, s’illusionner, sur l’immortalité de notre mode de vie, empli de laïcité.
Que nenni, ne vous y trompez pas, certains, voient, qualifient, de principes hérétiques, la séparation des pouvoirs civils et spirituels.
Et pour cause la laïcité, cet incontestable rempart aux religions hégémoniques, est, pour certains, perçue comme une entrave.
Et pourtant être laïc n’implique pas d’être nécessairement agnostique ou athée.. Tout au contraire, la laïcité garantit le libre exercice des cultes tout en veillant à ce que personne ne soit contraint au respect de dogmes, de prescriptions religieuses.
Le 9 décembre de chaque année est célébré la promulgation de la Loi du 9 décembre 1905 sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat, qui garantit la liberté de conscience et offre, aux non croyants et aux croyants, le même droit à la liberté d’exprimer leurs convictions, dans les limites du respect de l’ordre public.
Depuis 1991 le Comité « Laïcité République » défend la laïcité. Abnousse Shalmani en a assuré la présidence pour 2023 et a prononcé, lors de la cérémonie de la remise du prix, un discours dont elle a tiré, l’essai intitulé :
LAICITE
J’ECRIS TON NOM
tout récemment sorti en librairie à l’initiative des Editions de l’Observatoire.
Concernant l’école, notre auteur y évoque un principe :
« il faut que les élèves aient le plaisir d’oublier leur communauté d’origine
et de penser à autre chose que ce qu’ils sont pour que ce qu’ils sont
pour pouvoir penser par eux-mêmes.
Si l’on veut que les professeurs puissent les y aider, et l’école rester ce qu’elle est
un lieu d’émancipation- les appartenances ne doivent pas faire la Loi à l’école ».
Abnousse Shalmani sait de quoi elle parle – elle est Française, et le revendique :
« je ne suis pas Franco-Iranienne, je suis Française née à Téhéran, certes, mais Française ».
Venue en France à l’âge de huit ans elle y a fait sa scolarité, y a apprécié l’enseignement.
Le fait qu’elle soit de confession musulmane n’y a suscité aucun problème.
Dès lors, c’est à juste titre, et en connaissance de cause, qu’elle s’insurge sur les obscurantismes religieux qui, d’évidence, ont oublié – ou ne veulent savoir – qu’à ‘l’école les hommes sont égaux et qu’on ne saurait se résoudre, à y constater une « drôle d’atmosphère qui empêche des gamins nés ailleurs d’aimer leurs pays d’adoption »
Jean Jaurès disait déjà, en 1905, que :
« la laïcité est la fin des réprouvés ».
Pour Robert Badinter là s’inscrit le sens premier et essentiel de la Laïcité, à savoir :
« Je te respecte au-delà de nos différences de religion ou d’opinion comme de sexe, de race ou d’orientation sexuelle, parce que tu es comme moi un être humain, tu es mon frère ou ma sœur en humanité. »
La laïcité est dans le droit fil de l’esprit des lumières.
Elle fait honneur à la France.
C’est pourquoi on se doit de la défendre comme un bien national, que bien des étrangers, sont venus trouver en France, attirés, fascinés, par la liberté que la laïcité induisait, permettait.
Ce fut d’ailleurs le cas des parents de notre auteure lesquels ont quitté leur Iran natal suite au climat délétère, à l’absence de liberté, découlant de la prise du pouvoir par l’Ayatollah Khomeini et l’instauration du régime islamiste.
C’est donc en connaissance de cause, et forte de son expérience familiale, qu’elle s’insurge sur l’attitude de certains qui se refusent à aimer leur pays d’adoption, oubliant en cela que le pays qu’ils insupportent est leur pays, celui-là même, qui a accueilli leur famille. Attitude méprisable ; qui – se faisant – génère un climat délétère, propice à l’intolérance.
C’est avec clarté, grande lucidité et détermination, qu’Abnousse Shalmani s’érige, au fil des pages de l’ouvrage, en défendeur de la France et de ses valeurs.
C’est avec beaucoup de courage qu’elle prend parti pour une nécessaire « reprise en main » de nos valeurs fondamentales car, précise-t-elle :
« Au nom d’une tolérance dangereuse,
nous avons collectivement, laissé prospérer l’intolérance qui tue ».
Chère Abnousse, votre ouvrage nous met du baume au cœur. Vous portez haut les valeurs du contradictoire par votre opposition à ce que l’on essaie de nous faire accepter à tout prix, notamment que tout est de la faute de la France, de son passé, voire de celui de l’occident.
Merci de souligner que
« le passé de l’occident n’est pas plus honteux que celui de l’orient.
« Qu’au contraire du monde Oriental, qui refuse toute remise en question, l’occident a aboli l’esclavage et inventé les droits de l’homme. »
Vous levez l’étendard de la clarté, de l’indignation, de la clairvoyance.
Vous prenez le soin de dire, d’écrire, ce que nombre de nos compatriotes pensent sans oser le dire – ce faisant vous leur ouvrez la voie de la libre parole, vous leur redonnez goût et courage à défendre leurs idées.
Bravo et merci pour eux, pour nous.
La France peut s’enorgueillir de compter parmi elle des sujets tel que vous. Vous lui faîtes honneur.
Cerise sur le gâteau, votre ouvrage est fort bien documenté et très agréable à lire. Je l’ai, à tous les égards, particulièrement apprécie et en recommande la lecture.
Il mérite le même succès que celui qu’a eu, en son temps, l’opuscule « Indignez-vous » de Stéphane Hessel. Comme ce dernier, même si vos champs de réflexion ne sont pas les mêmes, vous encouragez, indignation et esprit de résistance .
Chapeau !