Livre « Au vent Mauvais » de Kaouther Adimi
Paul Verlaine, ce poète vagabond, qui se qualifia d’incompris, de « poète maudit », rejetait les valeurs de la société et adoptait une conduite délibérément provocante et autodestructrice.
Malgré cela, ou à cause de cela, ce fut incontestablement un grand, un très grand, poète.
« Chanson d’automne » le plus célèbre de ses poèmes, connu pour ses strophes, qui furent prononcées par RADIO LONDRES pour informer la résistance française de l’imminence du débarquement du 6 juin 1944 en Normandie :
Les sanglots longs
Des violons
De l’automne
Blessent mon coeur
D’une langueur
Monotone.
Tout suffocant
Et blême, quand
Sonne l’heure,
Je me souviens
Des jours anciens
Et je pleure
Et je m’en vais
Au vent mauvais
Qui m’emporte
Deçà, delà,
Pareil à la
Feuille morte.
paru dans le livre, « Poèmes saturniens » en 1866, ce poème est d’une musicalité exceptionnelle.
La thématique de l’automne évoque le mal de vivre, le déclin, la mélancolie, la tristesse.
Ainsi, aux « sanglots longs » de la première strophe, succède l’évocation de la fuite du temps et, la troisième et dernière, s’attache à faire état d’une souffrance intérieure.
« Chanson d’automne » est une ode à la vie qui passe, qui nous échappe inéluctablement, emportée par
« le vent mauvais », évoquant en cela, toute la tragédie, du mal-être, de la vie, de ceux qui subissent plutôt qu’ils ne dirigent leurs vies.
Paul Verlaine a inspiré nombre de poètes, écrivains, artistes, chanteurs….dont Kaouther Adimi, laquelle ressent tellement cette situation en sa chair, en sa fibre familiale, qu’elle a pensé bon d’ intituler son dernier livre :
« AU VENT
MAUVAIS »
Ouvrage, où elle retrace le cheminement, au fil du XXe siècle, de personnes originaires d’un petit village de l’Est Algérien, EL ZAHRA, confrontées tant à la misère, qu’à l’opposition entre tradition et modernité.
C’est prioritairement un livre traitant de l’émancipation, de la décolonisation, de la difficulté à survire dans un monde politisé et cruel, et, également, un hommage aux femmes algériennes qui cherchent à se libérer de l’emprise des traditions, réclament plus de liberté, refusent les diktats de la société et rêvent d’une autre vie.
Trois personnages principaux occupent l’essentiel de ce roman. Deux hommes Tarek et Said.
Le premier, bien qu’attaché à sa terre natale, est économiquement tenu de s’en éloigner pour subvenir aux besoins vitaux de sa famille.
Le second, ayant suivi des études, devient hommes de lettres et s’éloigne du village pour intégrer la ville et devenir homme de lettres.
Tous deux, complices depuis l’enfance, sont depuis leur adolescence amoureux de Leila, laquelle, mariée jeune, contre son gré, décide, malgré la réprobation générale, et alors même qu’elle est devenue mère, de quitter, avec son fils, son violent mari. Ultérieurement, Tarek, de retour de son incorporation dans l’armée française durant la seconde guerre mondiale, épouse Leila, adopte son enfant, reprend son travail de berger, puis doit s’éloigner de sa campagne natale pour nourrir sa famille.
Cette épopée traverse plusieurs périodes du XXe siècle, à savoir, celle de l’Algérie d’alors – département français – puis intègre la phase du combat pour l’indépendance, puis, enfin, celle de la désillusion et de la nécessité d’aller travailler à l’étranger.
De son côté, Leila, soucieuse de prendre en main sa destinée, décide d’acquérir sa propre indépendance en apprenant à lire, tout en se consacrant à l’éducation de ses enfants et aux tâches ménagères.
Le tout forme de belles pages traitant de la difficulté du « vivre ensemble ».
Difficulté du « vivre ensemble » marquée, suite au « divorce » de Leila par l’incompréhension des voisins, dont la conjuration des femmes qui prirent, à cette occasion,
« la décision de ne plus lui adresser la parole ».
Difficulté du « vivre ensemble » découlant de l’attitude négative et, il faut l’avouer raciste, de certains, à la fin de la seconde guerre mondiale, vis-à-vis de soldats nord-africains stationnés en métropole, en attente d’être rapatriés en Algérie, alors même qu’ils venaient de vivre une période particulièrement éprouvante sous les drapeaux,
« comme un jour sans fin qui aura duré trois ans ».
Difficulté du « vivre ensemble » entre « pieds noirs » et « algériens » qui, si elle avait pu ne pas exister, aurait pu éviter bien des souffrances, massacres et lendemains douloureux.
Certes, la « guerre d’Algérie » a permis l’expression, la concrétisation d’un souhait d’indépendance mais, comme le prévoyait, et en faisait lucidement état un dirigeant du FLN auprès de ses sympathisants :
« ce n’est qu’après notre victoire que commenceront les vraies difficultés ».
Et pour cause à l’euphorie de l’indépendance, succèderont les massacres, la terreur, les oppositions, l’emprise des groupes islamistes au point, comme l’écrit l’auteure, que l’indépendance acquise :
« l’angoisse avait pris en otage le quotidien de tous les algériens ».
Une fraction fanatisée voulant imposer sa volonté au point d’écrire, son intransigeance, son sectorisme :
« par le vote ou par le fusil, les islamistes prendront le pouvoir ».
Le Président Mohamed Boudiaf sera d’ailleurs victime de cette violence – abattu à Annaba (par un militaire qui, paradoxalement, était censé le protéger !) – alors qu’il aspirait à instaurer la laïcité, estimant que :
« la religion est pour Dieu et la patrie est pour tous ».
laissant, pour plus de dix ans, une Algérie en proie à une guerre civile où :
« des villages entiers furent massacrés par les groupes islamistes »….
On ne peut que comprendre Leila qui résume ce combat par deux mots :
« quel gâchis »
Et elle, qui avait fait l’effort d’apprendre à lire, de découvrir, horrifiée, effarée, peint sur les murs de sa ville, la phrase symbole d’intolérance et de barbarie :
« ceux qui combattent par la plume,
Périront par la lame ».
Décidément, qu’il est dur de créer, d’obtenir, ce « vivre ensemble » qui nous est envié de par le monde. Ce « vivre ensemble », que l’on doit à l’esprit des lumières.
Démarche, dominée par le concept de raison, qui voit dans la critique, le moteur propre à combattre préjugés, présupposés, et lutter contre l’obscurantisme, l’intolérance, pour faire en sorte d’accéder à la sérénité, à la connaissance et donc à la liberté.
Quand on a fini de lire ce roman sorti aux Editions du Seuil – Prix du roman des étudiants France Culture –Télérama et Prix Montluc Résistance et Liberté, on prend conscience de la chance que nous avons de vive dans un pays démocratique – la France – .
Il convient néanmoins de tout faire pour qu’il le reste…..
A bon entendeur, salut !