Livre: Veiller sur elle
Nos actions, quelles qu’elles soient, tout comme nos écrits, sont influencés, résultent, sont l’émanation, la résultante, de notre vécu tout autant que celui de nos ascendants.
Écrire est un moyen de communiquer, de faire valoir la pertinence de nos réflexions. C’est toutefois souvent, convient-il de le reconnaître, une approche narcissique, un moyen quasi thérapeutique, propre à satisfaire son égo. En tout état de cause, pour l’écrivain, quel que soit le thème qu’il aborde, qu’il développe, même s’il s’en défend, c’est toujours une part de lui-même qu’il y met, qu’on y trouve.
Immanquablement, c’est le cas de l’ouvrage intitulé:
VEILLER SUR ELLE
De Jean Baptiste Andrea, dès lors que ce dernier a choisi de situer sa grande fresque romantique dans l’Italie du XXème siècle, pays d’origine d’une de ses grands-mères. De même, alors qu’il a mis longtemps à trouver sa voie, études non littéraires, activités tournées vers le cinéma ès qualité de réalisateur et de scénariste, pour – enfin – devenir écrivain à part entière, on constate qu’il fait suivre la même quête d’objectif aux personnages de son roman, lesquels, tout comme lui, se construisent, s’affirment, au fur et à mesure des années, au terme de moultes péripéties.
Pour ce qui a trait aux personnages centraux, que sont MIMO et VIOLA, bien queproches à de nombreux égards, ils ne peuvent réellement communier qu’en debrefs et fugaces instants car, handicap majeur, ils ne sont pas du “-même monde-”.
L’un, Michelangelo Vitaliani, alias MIMO, est pauvre, issu d’un milieu populaire.Orphelin, d’un père mort durant la première guerre mondiale, est confié enapprentissage à un peu scrupuleux sculpteur…
L’autre, VIOLA, appartient, estissue, d’une famille noble, prestigieuse et riche, les Orsini. Situation d’autant pluscomplexe qu’elle se situe en début de XXème siècle, dans un pays aux mœursancestrales, qui de surcroît est confronté aux frustrations liées à son engagementdans la première guerre mondiale avec, pour conséquence, l’émergence puis lesuccès du Mussolinisme.
Situation qui se rapproche, on ne peut mieux, de celledécrite dans l’ouvrage » Le Guépard » écrit par le Prince Sicilien GIUSEPPE TOMASI si ce n’est que cette dernière se situe quelques décennies plus tôt ausein, là également, d’une aristocratie décadente, sourde aux bouleversements dumonde.
VIOLA , consciente de cette inévitable, fait tout pour éviter les déboiresfinanciers de sa famille qui y est confrontée, et pour ce faire consent, n’a pour seuléchappatoire, qu’une union avec un riche parvenu. Ultime concession qui signe ladéfaite de l’ours, symbole héraldique des Orsini, à l’identique de celle du Guépard,de Giuseppe Tomasi, dont la chute s’avère aussi être le symbole, la résultante, laconséquence, de la décadence de la haute noblesse.
Ce faisant, bien que fruit del’imagination de l’auteur, l’ouvrage ne s’en inscrit pas moins dans la réalité d’uneItalie fasciste et nous incite à une réflexion, une mise en parallèle de l’évolutiondécrite, tant politique que des mœurs, avec celle qui touche notre propre période.
Comment, en effet, ne pas percevoir que, si à l’époque, ce qui changeait enprofondeur, c’était que la détention du pouvoir passait inéluctablement de lanoblesse aux détenteurs du capital et subissait de surcroit l’emprise du fascisme, leXXI siècle, celui la même que nous vivons, présente bien des similitudes qui nelaissent rien présager de bon.
Le tout ayant, pour écho, la fameuse phrase « Il fautque tout change pour que rien ne change » (prononcée avec un talent inégalable parAlain Delon dans le film « Le Guépard ») laquelle sous-entend que, pour préserverl’ordre établi et maintenir les privilèges, il suffit de faire semblant d’engager lechangement, de donner le sentiment, de vouloir une transformation, alors qu’enfait, par volonté délibérée, rien ne change en profondeur.
Enfin, si l’ons’attarde sur la vie de nos deux héros, on ne peut méconnaitre qu’elle résulte de laconjugaison du couple, de l’association, “persévérance-génie”, qui fait que MIMOdevient très grand sculpteur et que VIOLA , qui est mue par une très forte ambition, n’accepte pas la place qu’on lui assigne, se rebelle, consacre son existence àtacher d’acquérir la même indépendance dont bénéficient les hommes, refuse quesa condition de femme ne l’empêche, soit un obstacle à lui permettre de faire desétudes, de la politique, et en toute indépendance choisir son conjoint. Bref de vivresa vie comme elle l’entend.
Toutefois, consciente du handicap que celareprésente, percevant les grandes potentialités de MIMO, contourne l’obstacle enœuvrant à faire, de ce dernier, sa chose, son pygmalion. Cette démarche nepouvant lui suffire, elle décide de mener de front son propre combat consistant à dene pas se soumettre au dictat sociétal, à briser le carcan qui entrave sa liberté, àagir à sa convenance. De même, par sa pugnacité, Mimo prend sa revanche sur sesdifficultés premières, gravit les marches sociales, acquiert une très grande notoriété, en tirejubilation.
Néanmoins, malgré la satisfaction matérielle qui en découle, il ne parvient pas àcombler son permanent et obsédant souhait qui, lui, se concentre, n’a trait qu’à Viola.
Et pour cause “à quoi bon la gloire s’il ne peut posséder Viola ? “Avec “Veiller sur elle” la petite maison d’édition L’Iconoclaste a su discerner une pépite.Et pour cause, après avoir reçu le Prix Fnac, c’est le Prix Goncourt 2023 qui lui a été décerné, avec, à la clef, pour l’auteur, comme pour l’éditeur, une satisfaction matérielle exceptionnelle vu ’assurance du succès ! Certes Jean-Baptiste Andrea signe là son quatrième livre mais assurément c’est “Veiller sur elle” qui fait sa notoriété présente. D’évidence, ce qui a été favorable à Mimo l’a également
été pour son concepteur, à savoir avoir su conjuguer persévérance et génie.
A bon entendeur salut !